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Les réseaux de la coopération intellectuelle. La Société des Nations comme actrice des échanges scientifiques et culturels dans l'entre-deux-guerres

Abstract

Créée en 1921 sur le constat que la reprise du dialogue entre les puissances belligérantes impliquées dans la Première Guerre mondiale ne peut se limiter à une coopération politique et économique, la Commission internationale de coopération intellectuelle (CICI) est un organe de la Société des Nations (SDN) rassemblant des personnalités scientifiques de premier plan comme Henri Bergson, Albert Einstein, Marie Skłodowska-Curie ou Hendrik Lorentz. Instance consultative dans un premier temps, la CICI construit petit à petit autour d’elle une « organisation de coopération intellectuelle » comprenant plusieurs sous-commissions rassemblant des experts en bibliographie, droit d’auteur, échanges académiques, relations universitaires, etc. puis intègre dans son dispositif l’Institut international de coopération intellectuelle (IICI) offert à la SDN par le gouvernement français et inauguré en 1926. Basé à Paris et au bénéfice d’une administration beaucoup plus développée que la CICI à Genève, l’IICI devient rapidement une institution centrale dans l’organisation. Cette thèse s’attache en particulier à comprendre la structuration du champ puis le développement d’une forme de bureaucratisation de la coordination scientifique et intellectuelle. Renversant la démarche consistant à faire une étude des organisations internationales par leur discours ou à ne se focaliser que sur les personnalités les plus marquantes de l’institution, elle propose d’analyser l’activité et la capacité de la CICI à créer du lien au travers d’une indexation fine de ses archives de correspondance. En cartographiant ainsi la circulation de l’information dans un réseau impliquant plus de 3 000 individus concernés par les activités de la coopération intellectuelle pendant ses premières années (1919-1927), cette recherche fait émerger les principales tendances organisationnelles tout en mettant en évidence la situation d’acteurs jusqu’ici peu étudiés dans ce contexte : la catégorie des secrétaires internationaux, dont on peut désormais qualifier précisément la centralité dans les échanges scientifiques et diplomatiques. Cette perspective pluriméthodologique, qui consiste à développer une analyse quantitative et structurelle mobilisant conjointement des théories mathématiques, un outillage informatique et des questionnements archivistiques, est par ailleurs une façon d’interroger le rapport qu’entretiennent les sciences historiques avec les technologies numériques qui s’y font petit à petit leur place. Sans toutefois faire de ces développements techniques une fin en soi, l’apport de telles méthodes d’analyse et de visualisation de réseaux sociaux permet de multiplier les perspectives, de mettre en place des jeux d’échelles qui rendent possible la navigation entre une vision globale de la structure et une approche au plus près des individus. Cette démarche parfois exploratoire de « mise en données » des archives de la Commission de coopération intellectuelle nous amène donc à reconsidérer et recontextualiser l’engagement personnel des individus qui composent la CICI. Le développement de méthodes de visualisation qui rendent possible la comparaison entre le cadre institutionnel officiel de la Société des Nations et la structuration des échanges au niveau individuel permet également de mettre en évidence la discrépance d’un niveau à l’autre. Ainsi, ce travail se concentre en particulier sur les enjeux qui accompagnent la bureaucratisation de l’expertise scientifique confrontée à une administration chargée de la gouvernance globale de nations au sortir d’un conflit mondial : d’une « Société des esprits » débattant sereinement de grandes questions intellectuelles dépolitisées, la CICI devient progressivement une organisation technique plutôt conventionnelle.